La Lorraine en bateau de Hesse à Metz

Entre Port Ste-Marie et Lagarde (Moselle), pas une ride.
“Tranchée” de la Forge sur le canal de la Marne au Rhin.

Il était temps ! Quelques jours plus tard, la France entamait son 2e confinement. Nous n’aurions alors pas pu vous présenter cette belle navigation en 2 épisodes à la découverte de la Lorraine, qui nous a séduits et surpris, tout en prouvant qu’elle est aussi le pays des cigognes. Depuis, Hesse, aux confins du département de la Moselle, jusqu’à Nancy (Meurthe-et-Moselle), puis de Nancy jusqu’à Metz (Moselle) en passant par Pont-à-Mousson, cela n’a été qu’une succession d’émerveillements, à commencer par les couleurs automnales des arbres du canal de la Marne au Rhin et des bords de Moselle. Cette virée lorraine démarre au Pays de Sarrebourg. Ici les profondes forêts mystérieuses alternent avec les étangs romantiques.


Aux esprits chagrins qui craignent de s’ennuyer ou de subir des éléments déchaînés en naviguant en Lorraine, nous les rassurons d’emblée : de l’eau, oui, mais sous le bateau, ou alors le soir, ou presque, pour rafraîchir le pavé lorrain. Pas de quoi fouetter un chat. Au contraire, de Hesse (Moselle) à Nancy (Meurthe-et-Moselle), puis de Nancy à Metz (Moselle), nous avons bénéficié durant cette croisière (12 au 26 octobre) d’un ciel allant de à peu près serein jusqu’à franchement beau sauf dans les 1ers jours, accompagné hélas d’une température un peu limite, surtout le matin, au réveil. Fin du bulletin. Les courses se font à Sarrebourg, jolie ville traversée par la Sarre. Le départ a lieu depuis Hesse, au PK 240 du canal de la Marne au Rhin, à 5 km de là, où nous attend notre Mystique à la base.

Le port du Houillon sur le canal de la Sarre.

Trois cabines, un carré très confortable, et tout ce qu’il faut à bord pour une croisière sans souci, excepté un chauffage gourmand en gasoil, qui nous obligera à jongler avec les ravitaillements : nous partons pour 2 semaines, et en remontant vers le nord, on ne trouve plus de pompe à quai après Lagarde. Il est évident que cela va faire très juste. Nous comptons un peu sur notre bonne étoile et sur les propos rassurants des techniciens de la base, qui nous promettent qu’ils ne nous laisseront pas tomber en panne, où que nous soyons.

Les étangs

Pêcheur au bord de l’étang de Gondrexange.

Nous sommes trois pour ce voyage : Patricia, bien sûr, Patrick, un ami qui vit la caméra à la main et dont c’est la 1re navigation, et moi. Nous ne partons pas très tôt, engourdis par une nuit froide et un chauffage paresseux. Nous avons décidé de vivre tranquillement ce 1er jour de voyage. Nous voudrions déjeuner à l’étang de Gondrexange, l’un des endroits les plus romantiques de Lorraine, juste ce qu’il faut de triste pour mettre en condition, et de beau pour l’extase. À la sortie de Hesse, un petit pont-canal nous fait franchir la Sarre, puis nous nous engageons dans une sorte de tranchée entre les feuilles automnales d’arbres immenses. Nous naviguons entre des roux, des rouges, des jaunes et encore un peu de verts.

Une palette rêvée pour impressionniste, créée par des arbres qui explosent de couleurs avant d’être bientôt dénudés. Le canal fait une courbe, nous passons sous le joli pont de pierre de Xouaxange, et continuons notre route vers les étangs, creusés au Moyen Âge par des moines bénédictins pour l’élevage de poissons. Après Gondrexange commencent les digues qui nous en séparent. On sait qu’ils sont de l’autre côté, mais on ne les voit pas. Nous remontons sur notre droite le canal de la Sarre jusqu’au port du Houillon, quelques minutes plus loin, et nous nous amarrons à l’un des pontons. Le paysage est magnifique. Lamartine aurait adoré. Un pêcheur solitaire traque le sandre, la carpe ou le brochet là-bas, au milieu de l’eau. Sur le bord, de minuscules vaguelettes viennent mourir sur les galets, entre les roseaux. Nous restons de longues minutes à contempler ce spectacle apaisant, puis rentrons nous restaurer au bateau. Les beaux paysages, manifestement, ça creuse !

L’une des plus hautes écluses au gabarit Freycinet de France

La suite du trajet longe la digue en direction de la 2e attraction du voyage : Réchicourt, l’une des plus hautes écluses Freycinet de France. Amarrés aux berges, des remontoirs flottants gibier ressemblant à de petites barges étroites permettent aux animaux tombés à l’eau de regagner la berge malgré les palplanches. Vers 17 h, nous sommes à pied d’œuvre à Réchicourt, derrière un Europa de Locaboat loué par des Allemands de Hanovre.

Remontoir à animaux

L’éclusier nous explique la manœuvre et nous confie une télécommande qui nous servira pour ouvrir les écluses jusqu’à celle de Clévant, juste avant la jonction avec la Moselle. Patrick reste en haut pour filmer la descente, tandis que nous passons une aussière autour d’un bollard flottant, qui va nous guider jusqu’en bas. Rien à faire, juste suivre le mouvement, moteur coupé pour éviter l’asphyxie. Quelques minutes plus tard, nous sommes au fond, laissons l’Europa prendre le large, et nous suivons derrière récupérer Patrick.

Réchicourt, une écluse et une vue impressionnantes

L’écluse n° 2 de Réchicourt-le-Château est l’une des plus hautes de France au gabarit Freycinet : de 15,45 m à 16,18 m suivant la cote des biefs amont et aval ! Construite de 1962 à 1965, elle a permis de remplacer 6 écluses et de gagner ainsi beaucoup de temps sur le trajet. Il fallait 6 h auparavant pour franchir l’obstacle, notre descente (et notre montée, au retour) a duré 10 min ! En revanche l’attente peut paraître interminable… La commande s’effectue depuis la cabine en haut de l’ouvrage. Les quelque 3800 m3 d’eau du sas arrivent par 30 orifices depuis une rigole d’alimentation et un puits vertical, et sont retenus à l’aval par une porte à guillotine de plus de 22 t, assurée par un vérin unique de 7 m, décrit un panneau Voies navigables de France.

Depuis le haut du mur de béton de la partie aval, on a une vue vertigineuse sur la suite du canal. Tout le paysage alentour fournit une jolie balade et muscle les mollets. On peut pique-niquer sur l’une des tables installées dans les jardins en haut de l’ouvrage, et passer quelques moments de plaisir romantique autour des anciennes écluses qui dorment paisiblement, entourées d’une nature qui reprend peu à peu ses droits.

L’écluse de Réchicourt, côté aval

Festival sur le canal

Nous avions pensé atteindre le port de Lagarde pour y dormir le soir venu, mais 3 écluses plus loin, nous réalisons que ce ne sera pas possible. Alors, nous faisons halte à Port Ste-Marie. Un saule pleureur, immense et solitaire, veille sur quelques bateaux garés en épi. Nos compagnons d’écluse sont là aussi. Vraiment serviables, ils nous aident à amarrer et à comprendre le fonctionnement des bornes automatiques eau-électricité avec paiement par carte bancaire sur un terminal à quelques mètres du quai. Au matin, l’un d’eux enfourche son vélo et file au village. Il revient lesté de croissants pour les 2 bateaux ! Nous restons confondus de tant de gentillesse. Le ciel matinal est bleu teinté de bandes roses qui se reflètent dans l’eau du port. La météo annonce de la pluie, mais nous ne voyons pas de nuages menaçants. Tout est calme et tranquille. Deux cygnes avancent doucement, impériaux, comme de petits drakkars blancs, sur une eau totalement plate. Lorsque nous sortons de la douche, nos amis allemands sont partis. Nous ne les reverrons pas. Dommage. Nous nous mettons en route. Patrick est sorti et filme la campagne, verte et paisible.

La porte de 22 t s’ouvre à l’écluse de Réchicourt.
Entre Réchicourt et Port Ste-Marie (Moselle).

Au détour d’un virage, surgit un Nicols blanc et vert, dont les occupants semblent aussi heureux que nous. Derrière eux, l’eau ondule quelques secondes, déformant légèrement les reflets des arbres, puis tout s’apaise et le canal revient à son miroir. Mon ami se retourne en souriant : « Tu as vu ? C’est magnifique ! » Il faut avouer que les feuilles s’en donnent à cœur joie. Du rouge orange au vert tendre, c’est un festival. Nous arrivons à Lagarde un peu avant midi dans un port au repos, où le soleil fait luire les coques blanches des bateaux de Navig’France, dont c’est le port d’attache. Nous avons rendez-vous dans l’après-midi avec un homme très singulier, qui travaille dans la plaisance depuis toujours, et connaît et a connu tout ce qui flotte ou presque : William George Fraser, Bill pour les amis. Lorsque nous quittons Bill et ses araignées, il est évidemment trop tard pour rejoindre Einville-au-Jard le soir.


Patrice Yax, qui codirige Navig’France, nous recommande fort justement de faire halte à Parroy, au PK 200. Sur la berge, un peu avant Xures, une tache brune avec du blanc et du rouge attire mon regard. Un magnifique faisan picore flegmatiquement dans l’herbe verte. Il nous observe du coin de l’œil, pas très tranquille, mais ne s’envole pas. Il a de la chance et moi aussi : sans fusil, je pratique la chasse… aux images, ouverte toute l’année !

Les 9 vies de Bill Fraser

Bill Fraser, de son nom complet William George Fraser, travaille dans le milieu du nautisme d’eau douce depuis les années 1970. Ce qu’il a fait avant fera partie d’un livre en préparation depuis longtemps, « avec toutes les bêtises qui me sont arrivées » comme il dit, avec son accent indéfinissable, l’œil rigolard, le cheveu hirsute et le sourcil broussailleux. On attend (im)patiemment la sortie du bouquin, car lorsque Bill raconte sa vie, c’est un moment d’évasion. Bill est écossais. Il commence à travailler dans la location de bateaux en 1975 à Agen (Lot-et-Garonne) avec Beaver Fleet, aujourd’hui disparu, continue en 1976 à Port Cassafières (Hérault) sur le canal du Midi. Puis il s’installe en mars 1978 à St-Gilles, sur l’embranchement de Beaucaire, dans le Gard. Il travaille alors pour Camargue Cruisers, où Keith Gregory est secrétaire général. Un jour, tout seul, il découvre la manière de travailler la fibre de verre et devient rapidement spécialiste en la matière. « À Pâques, en 1983, je suis reparti en Écosse. J’ai travaillé sur le Forth, près d’Édimbourg, à côté du fameux pont ferroviaire. C’était dur, les marées étaient de près de 6 m ! Nous étions tout le temps en train de sortir les bateaux, les remettre à l’eau, tout cela avec des remous incessants en raison des tankers qui allaient à la raffinerie plus haut ainsi que des navires de guerre des chantiers navals de la marine de Rosyth. » Bill part ensuite travailler dans les Norfolk Broads, en Angleterre. Puis, fin 1985, K. Gregory, fondateur de la société de location Crown Cruisers, le fait revenir à Port Cassafières. Trois ans plus tard, Bill le suit à la base de Decize (Nièvre), où il devient chef de base. Il quitte la société fin 1990, puis est embauché par Liberty Line, à Cercyla-Tour (Nièvre), l’année suivante. Cela se révèlera finalement être une mauvaise pioche « C’était une période difficile et surréaliste, mais aujourd’hui je suis heureux de l’avoir vécue. »

Une des anciennes écluses de Réchicourt.

Et la ronde se poursuit… « Je suis parti travailler sur des voiliers, mais la mer n’était pas vraiment mon truc. Je suis revenu en Bourgogne, à St-Jean-de-Losne, et je suis même parti 3 mois aux Pays-Bas à la base de Sneek. J’ai travaillé chez Les Canalous à Pontailler-sur-Saône. Quand j’ai arrêté, je suis allé chez Rive de France à St-Florentin, où Jacques Lucas était chef de base. Finalement, j’en ai eu assez des bateaux de location. Je voulais me mettre à mon compte pour faire des dépannages, mais la récession de 2008-2009 n’a pas arrangé mes affaires. J’étais à Decize. Jacques m’a proposé de venir à Lagarde (Moselle) monter des propulseurs d’étrave sur quatre de ses bateaux. J’y suis allé, et je suis resté. Ça fait plus de 10 ans, maintenant. » Ceci explique pourquoi Bill Fraser connaît le monde du fluvial sur le bout de ses doigts magiques, car il est capable de réparer n’importe quoi, n’importe où. Mais son champ d’action ne se limite pas à cela. « Dans les choses qui m’intéressent beaucoup, il y a les canaux et les chemins de fer. Je suis amateur de trains depuis l’âge de 12 ans. » Bill conte alors sa passion pour les ouvrages d’art – l’écluse de Réchicourt, le plan incliné de St-Louis – Arzviller et les anciennes écluses que ces 2 sites ont remplacées -, puis il enchaîne sur les anciennes lignes de chemin de fer de la Région Grand Est, et ce dépôt de locomotives de Bénestroff, en Moselle, oublié en pleine forêt.

Marpissa muscosa saute sur ses proies.

Si on le pousse un peu, Bill Fraser évoque sa musique, celle qu’il compose depuis l’époque de St-Gilles sur ses 4 synthétiseurs, et sa collection de guitares. En revanche, il garde un peu jalousement le meilleur pour la fin : Bill réalise des photos d’insectes et d’araignées extraordinaires, prises de très très près. Connaissez-vous la Synaema globosum, dont le dos est orné d’un buste de Napoléon, ou encore la Marpissa muscosa, l’araignée sauteuse ?

Le pays du sel

Halte déjeuner à Crévic (Meurthe-et-Mosel.

Après une nuit calme et reposante, mais froide (9 °C), nous filons en direction d’Einville-au-Jard. Notre chauffage est décidemment très faiblard, pour ne pas dire absent. Pas de problème dans la journée, mais la nuit cela devient critique. En fin de matinée, nous arrivons à Einville-au-Jard (Meurthe-et-Moselle), dont le nom énigmatique évoque les somptueux et immenses jardins d’un château construit ici au début XVIIIe siècle pour le duc Léopold Ier de Lorraine, déjà propriétaire du château de Lunéville. Démoli après la mort du duc de Lorraine et ancien roi de Pologne Stanislas, ses matériaux dispersés, il n’en reste rien, excepté le nom. Un peu plus bas dans Grande rue, qui passe devant la halte, on trouve une petite bâtisse en briques rouges sur une petite place.

C’était la gare, où s’arrêtait dès 1902 un train qui venait de Lunéville, à 7 km : “le tacot”, comme on le nommait. La fin de la ligne pivotait sur une plaque ronde, pour retourner la locomotive, et le train repartait dans l’autre sens, avec ses dames en jolies robes et leurs chapeaux magnifiques. La plaque tournante est maintenant à
côté de l’ancienne gare. Sur ce qui était la porte, une fresque représente un passager en manteau noir qui parle à la cheffe de gare, Odile Humbert, un peu renfrognée. Son mari, René, conduisait le train pendant la semaine, et faisait office de contrôleur les ours fériés. Le transport des voyageurs a été assuré jusqu’en 1934, mais celui du charbon et des marchandises a perduré jusqu’au début 1943, indique un panneau explicatif. Le wagonnet placé sur des rails plus étroits sur la plaque tournante provient de la mine de sel d’Einville, afin que chacun se souvienne que nous sommes ici dans le pays du sel. Le sel de la terre… Comme pour illustrer ces mots, sur la droite du canal, à la sortie du village (PK 189), un chevalement de puits de sondage, reconstruit à l’identique, s’élance vers le ciel. Nous déjeunons rapidement à Crévic, où quelques bollards nous accueillent après le pont, puis l’orage éclate.

Ancien puits de mine à Einville-au-Jard.

Sous la pluie, nous dépassons les passerelles de fer de l’usine Solvay, à Dombasle-sur-Meurthe, puis nous arrivons en vue de la grande et belle église St-Gorgon, de Varangéville, bâtie aux XVe et XVIe siècles. Elle n’a pas la magnificence de sa voisine, la basilique de St-Nicolas-de-Port, mais elle donne cependant envie d’aller voir de plus près. Le temps très fortement humide gomme cependant tout désir de s’arrêter, alors nous nous contentons de regarder ces admirables édifices de loin, par-dessus les fils électriques de la ligne de chemin de fer, et nous remettons notre visite au retour. Nous faisons bien, car nous aurons à ce moment-là largement le temps d’admirer la basilique, mais aussi d’observer le couple de cigognes qui y a élu domicile. Il y a plusieurs nids, mais un seul, côté sud, était occupé lors de notre passage par 2 oiseaux curieux du spectacle de la rue.

Avant Xures (Meurthe-et-Moselle), sur le bord du canal, un faisan…

Saint Nicolas et ses légendes

La Lorraine entière couve la basilique de St-Nicolas-de-Port depuis sa construction. Les histoires et les légendes la concernant abondent, comme celle des 3 petits enfants tués par un boucher, futur père Fouettard, et découpés en morceaux pour faire du petit salé. Pour éviter de vous dégoûter à tout jamais de ce plat merveilleux, ils sont heureusement ressuscités par saint Nicolas, dont la légende remonte au Moyen Âge. Il devient dans l’Europe germanique l’une des figures emblématiques de l’hiver, qui se glisse dans les cheminées, bien avant le père Noël. La grande basilique des XVe et XVIe siècles, dédiée au protecteur des enfants, mais aussi patron des bateliers et mariniers, est constellée de gargouilles passionnantes à détailler, comme ici cet homme au crâne rasé qui dégorge (au sens propre) l’eau de pluie et regarde en coin un gros notable opulent et satisfait, avec le faciès insondable de celui qui s’accommode de son sort, même torturé éternellement. Plus loin, c‘est une vache, ou un bœuf, qui semble sauter dans le vide à près de 20 m de hauteur. Là, un oiseau effrayant au bec de perroquet couvert d’écailles observe sous lui le passant en ricanant. Partout, on découvre le bestiaire médiéval fantastique qui oblige les hommes à lever la tête. Ce geste simple permet d’apercevoir, dans sa niche sous la rosace principale, un christ, l’air désolé, qui a posé le globe crucifère et brandit un livre sur lequel est gravé « je suis l’alpha et l’oméga », le début et la fin. Plus bas, la statue du saint préféré des petits accueille les fidèles entre les 2 portes de la façade ouest, avec, à ses pieds, le saloir des enfants de la légende.

La basilique de St-Nicolas-de-Port. La façade ouest

À l’intérieur du bâtiment, 2 gigantesques piliers, chacun sculpté différemment, soutiennent avec légèreté une voûte à 30 m de haut qui oblique légèrement et dévie de l’axe général. Le nombre de trésors architecturaux, sculptés, mobiliers ou décoratifs est ahurissant. Des vitraux du début de la Renaissance à l’orgue, tout est beau dans ce joyau.

Nancy

Nous arrivons finalement Nancy 18 h 10 sous la pluie, et allons nous placer au ponton d’accueil du port St-Georges, car la capitainerie est fermée à cette heure-ci. Curieusement, lorsqu’on revient dans des lieux où l’on a vécu, que recherche-t-on ? Un plein sac de madeleines de Proust pour voyager dans le passé ! Patricia et moi décidons alors d’entraîner joyeusement Patrick dans une visite un peu personnelle de Nancy, telle qu’il nous plaisait de retrouver cette ville. Pour ce soir, dîner chez les frères Marchand, et baptême pour notre ami du cochon de lait grillé, accompagné de choucroute et de râpé de pommes de terre.

Le Jardin éphémère de Nancy.
Le port St-Georges à Nancy (Meurthe-et-Moselle)

Un plat typiquement lorrain, une gastronomie où ce restaurant excelle. C’est délicieux, et le côtes-de-toul rouge qui l’accompagne, introuvable ailleurs que dans la région ou presque, est parfaitement indiqué. Nous sortons heureux et comblés, et rentrons à pied au bateau, par les ruelles de la vieille ville, la place de la Carrière, où se déroulaient il y a longtemps les tournois nancéiens. La place Stanislas brille de mille feux. Jardin éphémère oblige, des dizaines de plantes colorées entourent la statue de Stanislas, allant jusqu’à envahir son socle. La grande perspective est brisée, mais des plantes dans la ville, ce n’est pas désagréable. Demain, grand tour de ville et visite de la villa Majorelle, récemment rénovée. Et également rendez-vous avec un technicien Le Boat qui doit s’occuper de ce satané chauffage qui ne chauffe pas…

Situées dans la région Grand Est, à mi-chemin entre Nancy et Metz, les 31 communes membres de la Communauté de Communes du Bassin de Pont-à-Mousson bénéficient d’une implantation géographique privilégiée et regroupent plus de 40000 habitants. Le bassin mussipontain fait preuve d’un attrait touristique remarquable et séduit par la richesse et la diversité des espaces et des nombreuses animations qui s’y tiennent chaque année. Pont-à-Mousson, ville centre de l’intercommunalité, possède le label Pavillon bleu sans interruption depuis 2013. Le port de plaisance se situe à quelques centaines de mètres seulement du centre-ville et de ses nombreux commerces et restaurants. Les plaisanciers bénéficient ainsi de l’actvité culturelle de la ville, symbolisée par la triangulaire place Duroc, animée tout l’été par différents spectacles musicaux, et par l’Abbaye des Prémontrés ainsi que le musée Au fil du papier.

Pour les plus avides de promenades, le bassin est traversé depuis 201ϵ par une Vélo Route Voie Verte de 34 kilomètres qui longe la Moselle et permet de rejoindre Metz ou Nancy. Du ƈoeur historique de Pont-à-Mousson en passant par les ruines du château de Mousson, le Parc Naturel Régional de Lorraine ou la petite suisse Lorraine, le Bassin, son patrimoine et ses paysages n’attendent qu’à être découverts.

De la Villa Majorelle à la Via Scarponensis

Naviguer pendant l’automne en plaisancier sur la Moselle entre Nancy (Meurthe-et-Moselle) et Metz (Moselle) offre plusieurs avantages ͗ on ne croise pas grand monde, il y a peu ou pas d’attente aux écluses, les paysages sont superbes, et les escales de Nancy, Pont-à-Mousson et Metz, qui valent à elles seules le voyage, proposent des ports si agréables que l’on est très tenté d’y séjourner longtemps. De, Hesse à Nancy par le canal de la Marne au Rhin , puis de Nancy à Metz par la Moselle, la Lorraine fluviale se dévoile, du moins en partie, et c’est pitié qu’elle reste méconnue du plus grand nombre.

La digue de la Pucelle et le Moyen-Pont, à Metz.

Patricia et moi ouvrons les yeux sur un vendredi nuageux et… frisquet. Un café rapidement avalé, je me précipite sur mon téléphone pour demander de l’aide à notre base de départ de Hesse (Moselle) concernant le chauffage. Nous resterons donc encore cette nuit au port St-Georges Nancy (Meurthe-et-Moselle) et reprendrons le fil de notre croisière demain en direction de Metz (Moselle). Je profite de ma visite à la capitainerie pour nous ravitailler en plans de ville et de bus.

Emplettes sucrées

D’un saut de tramway, retour sur nos pas d’hier soir autour de l’église St-Epvre ainsi que quelques courses et flânerie dans les petites rues : dans Grande rue, devant la redoutable masse de la porte de la Craffe, on découvre des portes de pierre élégantes comme celles des anciens hôtels de Chastenoy ou de Lignéville. Au coin de la rue Callot, une échauguette monte la garde au-dessus des passants, qui ne la voient plus. De l’autre côté de la rue, une petite porte Renaissance s’ouvre sur un immeuble modeste où habitait le menuisier Joseph Hugo, grand-père de Victor. Le poète aimait Nancy : c’est lui qui intervint pour empêcher la destruction de la porte St-Georges, en 1878. Lèche-vitrine dans les rues St-Dizier et des Dominicains. Cette partie de ville Charles III aux grandes artères rectilignes est truffée de boutiques de fringues, d’articles de cuisine, d’antiquaires et de l’une des plus belles librairies de rance : le Hall du livre, sorte de caverne d’Ali Baba pour tous ceux atteints de bibliophilie aigüe. Quelques achats de bouche, des macarons chez les sœurs du même nom, un kouglof à la pâtisserie Alain Batt rue St-Georges pour le dessert, puis nous rentrons déjeuner au bateau, en jetant un coup d’œil admiratif aux vases en pâte de verre Gallé et au de la boutique d’antiquité Nancy 1900. Après le déjeuner, le technicien, ressortant des entrailles profondes du Mystique, nous annonce qu’il reviendra le lendemain matin. Il faut changer le conduit de chauffage qui fuit. Pour patienter, il nous laisse un dévidoir de fil électrique et un petit radiateur censé chauffer tout le bateau depuis le carré. Il nous assure que l’on pourra repartir en fin de matinée.

Porte de l’Hôtel de Chastenoy (XVIe siècle), à Nancy

Plongée dans les années 1900

Maison des sœurs Macarons, à Nancy.

Pleins d’espoir dans son opération du lendemain, nous repartons l’après-midi vers le Nancy 1900 et la Villa Majorelle, qui a terminé en février 2020 une cure de rajeunissement d’importance. Le tram puis le bus T3 (arrêt Préville) nous déposent à une grosse centaine de mètres de la Villa. Immense déception, la visite n’est pas possible cet après-midi. Heureusement, privilégiés, nous visiterons la Villa à notre retour de Metz avec Claire Berthommier, responsable des collections du musée de l’École de Nancy. Nous restons quelques instants dans le jardin à admirer la terrasse recréée à l’original et les ferronneries remises à neuf, puis décidons de continuer notre immersion dans l’art nancéien du début du XXe siècle en descendant vers la gare et le cours Léopold.

Chaque porte décorée, chaque pignon d’immeuble aux courbes élégantes, chaque cheminée en forme de champignon, chaque fougère sculptée sous un balcon, chaque grille de jardin tarabiscotée est un régal. L’avenue Foch nous offre quelques belles façades, puis nous dépassons la gare et obliquons vers le cours Léopold, où d’autres maisons signées Félicien et Ferdinand César (n° 40) ou Charles-Désiré Bourgon (n° 50) sont de réels bonheurs pour les yeux. Il y a tellement de choses à voir en se promenant dans cette ville que les pieds commencent à fatiguer. Alors, pour rester dans la note, nous allons prendre un rafraîchissement à l’Excelsior, brasserie hors norme près de la gare, avant de rentrer au bateau. En passant devant la cathédrale Notre-Dame-de-l’Annonciation, nous remarquons la porte ouverte. Il ne nous en faut pas plus pour entrer à l’intérieur. De style baroque, très sobre, en forme de croix latine avec 2 tours coiffées chacune d’un lanternon, et une énorme coupole à la croisée du transept. L’intérieur est grandiose, mais plutôt triste. C’est la fresque de la coupole qui fascine le plus : le Lorrain Claude Jacquart a réuni des dizaines de personnages virevoltants autour d’un Dieu le Père à la mine sévère. Nous continuons à pied, pour le plaisir de passer sous les décors en briques de la porte St-Georges, depuis que nous savons que Victor Hugo l’aimait beaucoup. Nous arrivons au port lorsque sonne l’heure du dîner, et constatons que le petit radiateur a bien son office.

Au 71 avenue Foch à Nancy, porte d’un immeuble
construit par Émile André (1904).

La Villa Majorelle rend la vie plus douce

Située à Nancy (Meurthe-et-Moselle), la Villa Majorelle a été conçue pour être une vitrine des possibilités de l’Art nouveau en termes de décoration, de construction et d’architecture. Construite vers 1901-1902 pour l’artiste Louis Majorelle, elle est l’œuvre de l’architecte Henri Sauvage. À ses côtés, on retrouve les noms de Jacques Gruber (vitraux), Alexandre Bigot (grès), Francis Jourdain et Henri Royer (peintures), Louis Majorelle lui-même (ferronneries, boiseries et mobilier) ainsi que Lucien Weissenburger (exécution et suivi du chantier). La Villa est beaucoup plus qu’un chef-d’œuvre, elle est aussi un espace à vivre pour Majorelle et sa famille dans des pièces qui ne seront jamais montrées dans des catalogues. Après une longue phase de rénovation, sous la conduite de Camille André, architecte du patrimoine, la maison a rouvert ses portes début 2020. Une autre période de travaux est prévue en 2022-2023. « De l’extérieur, elle est assez emblématique de l’Art nouveau »,précise Claire Berthommier, responsable des collections du musée de l’École de Nancy et Villa Majorelle. « Déjà par les formes, mais on a aussi sur les toits, par exemple, des cheminées coiffées de mitres qui donnent une forme très spécifique à cette architecture. Les influences sont médiévales, japonisantes ; les styles sont réécrits pour régénérer les formes d’architecture. C’est un repère dans le paysage de Nancy. Contrairement à l’architecture classique, ici, dans la façade, la porte d’entrée est déportée, adossée à l’escalier de service et aussi à la grande cage d’escalier visible de l’extérieur. La terrasse est couverte par un grand arc qui a donné toute la physionomie Art nouveau à la Villa. »

On remarque dans les détails extérieurs toute l’influence florale de ce mouvement : sur la terrasse bien sûr, mais aussi sur les gouttières, les grilles des fenêtres, les poignées de porte… Les ombelles, les monnaies du pape, les vignes, les blés, les pins et leurs pommes envahissent la maison et s’épanouissent sur l’ensemble du décor et du mobilier. Près de 100 pièces de mobilier, peintures et objets d’art issus des collections du musée sont présentés dans la Villa. Le bois habite cette maison, les peintures rappellent la nature par leurs couleurs, tout n’est qu’arrondis, et même les chambranles et les charnières métalliques des portes sont peints en trompe-l’œil façon bois. La Villa Majorelle s’est offert une nouvelle jeunesse, un nouveau printemps. « À cette époque, on est convaincu que la modernité va servir l’art. L’art est considéré comme une source d’élévation, un élément de bonheur face à la dureté, aux difficultés de la vie. » C’était en 1900…

Vitrail de la cage d’escalier

Mort d’un boa et relance de l’aventure

Le Mark Hardi I

Le lendemain matin, des raclements provenant du ventre du Mystique se font entendre, signalant la présence du technicien. Notre sauveur a complètement disparu sur le côté gauche du moteur, où je n’aurais jamais cru qu’il soit possible d’aller. Sur le quai, un long boa noir déroule ses anneaux à côté de morceaux d’un autre serpent, déchiqueté, définitivement mort. En fin de matinée, le technicien nous annonce que c’est terminé. Nous poussons un soupir de soulagement virtuel, mais conservons cependant le petit radiateur. A 13 h, nous prenons la route, enfin, le canal, sous un ciel gris et nuageux, mais sans pluie.

À la sortie du port St-Georges, le pont Bazin se lève très vite sur ses gros vérins bien huilés, et nous libère le passage. À 1 k l’autre pont mobile, celui Malzéville, ville, manœuvre son tablier bleu à la manière hollandaise dans le reflet d’un platane roux. L’onde est plate comme une chemise fraîchement repassée, et la route vers Pont-à-Mousson s’offre à nous. Nous glissons dessus, passons Champigneulles et sa petite halte tranquille où nous reviendrons au retour sous une pluie battante pour y rencontrer une camionnette venue nous ravitailler en gasoil, et nous voici bientôt à l’écluse de jonction. Cette dernière est très haute, et débouche sur la Moselle, enfin, presque. ll faut attendre pour cela d’être sortis de la grande écluse de Clévant devant laquelle stationne le Mark Hardi I, un cargo fluvial de 172 m en 2 parties à côté duquel nous avons l’air d’un jouet de baignoire.

Le pont mobile de Malzéville.
Dans l’écluse de Custines.

Nous rendons à l’éclusier la télécomande qui nous a fidèlement servis jusqu’ici, et en quelques minutes nous voici sur la Moselle. La Moselle est très large, mais calme, en tout cas pour le moment, bordée d’arbres qui arborent leurs feuilles d’automne. C’est splendide. Voici Custines, la première des 4 grandes écluses de notre trajet jusqu’à Metz. Pas un mot n’est échangé : nous entrons dans le sas, nous nous accrochons aux bollards du milieu, les portes se ferment, l’eau descend, nous avec, les portes aval s’ouvrent, nous sortons, au revoir. Nous faisons signe sans vraiment attendre de réponse aux invisibles qui nous regardent probablement depuis là-haut dans la cabine, et nous continuons notre route. De temps en temps, on regrette de ne pas avoir de V.H.F… Nous arrivons à l’écluse de Blénod (PK 331,5) au moment où les portes s’ouvrent, laissant le passage à Elysium, long fuselage gris-bleu à la proue noire.

Un pont et une butte

Elysium sort de l’écluse de Blénod.

Nous atteignons Pont-à-Mousson à 17 h 10, dans une sorte de crépuscule un peu fade. Les tours de l’église St-Martin et le double clocher de l’abbaye des Prémontrés se détachent sur le ciel nuageux. Le port de plaisance Michel-Roth s’ouvre sur la rive droite (PK 328), calme et jolie parenthèse à mi-chemin de notre trajet. Nous nous amarrons face à un magnifique Super Van Craft blanc et bois verni, qui doit faire des envieux… Pont-à-Mousson est très riche en découvertes, et une journée entière pour en voir la plupart n’est pas de trop. La tradition veut que ce soit Jules César qui fit bâtir le 1er pont depuis la butte de Mousson. Plus tard, une église est élevée quasiment face au pont, consacrée d’abord à saint Antoine, puis à saint Martin.

Les yeux rivés au sol sur chaque plaque d’égout pour y trouver le fameux logo aux 7 arches, nous arrivons devant l’église St-Martin, ses 2 tours gothiques dressées au-dessus de la rivière. La statuaire est toute en élégance et en finesse, et les gargouilles inventent un bestiaire fantastique assez ahurissant, défiant les lois de la pesanteur. l’intérieur se cachent quelques trésors, comme cette mise au tombeau du début du XVe siècle, récemment restaurée. Ses personnages incroyablement expressifs sont accompagnés d’angelots suspendus au-dessus de la scène. Les grandes orgues datent de 1704, créées par le facteur Claude Legros, de Metz.

Un Super Van Craft magnifique dans le port de
plaisance de Pont-à-Mousson.

Sous un vol de cigognes…

La place Duroc de Pont-à-Mousson et sa fontaine.

Le lendemain matin, les quais rive gauche, en face, sont envahis d’une foule habillée de rose, qui marche pour soutenir “Octobre rose”, une manifestation annuelle en soutien à la lutte contre le cancer du sein. Un couple de cygnes aux ailes immenses remonte la Moselle devant un pêcheur indifférent à tout ce remue-ménage, face aux jardins de l’abbaye des Prémontrés. Tout en haut de la grande façade classique, perchée sur un pot à feu, une cigogne scrute le ciel. Quelques minutes plus tard, un autre volatile arrive. Notre nouvelle amie s’envole alors avec une élégance rare pour rejoindre sa congénère. Nous la retrouverons sur une tour de l’église St-Martin, où elle restera un long moment, puis s’envolera définitivement pour rejoindre un vol d’une grosse quinzaine d’oiseaux.

En 1572, l’année de la St-Barthélemy, une université est fondée par le duc Charles III et le cardinal Charles de Lorraine afin d’²tre un repart catholique face à la Réforme. Établie à quelques mètres du pont et de l’église, sur les bords de la rivière, elle va connaître un succès phénoménal. L’abbaye des Prémontrés, construite à côté de l’université, va apporter la renommée à la ville. Les 1ers bâtiments sont édifiés en 1608, afin de permettre aux moines de se rendre aux cours sans passer par la ville, par “une galerie de mille pas”. Le nouveaux bâtiments verront le jour au début du XVIIIe siècle. Ils seront la proie des flammes en 1771 et manqueront d’être complètement détruits en 1944 sous le bombardements. L’édifice accueillera des chanoines, un séminaire, un hôpital, pour finalement devenir aujourd’hui un centre culturel renommé et abriter un hôtel.

Saflo devant l’abbaye des Prémontrés (Pont-à-Mousson).
L’université de Pont-à-Mousson, créée en 1572.

De l’autre côté du pont se situe la jolie place Duroc, triangulaire et bordée de maisons à arcades dont certaines du XVIe siècle. On y trouve toutes sortes de boutiques. Son centre est occupé par une fontaine élégante à 2 lanternes, érigée en souvenir de l’action des ambulanciers volontaires américains de la guerre de 1914-18. Dans l’angle ouest, la façade sculptée du XVIe siècle de la Maison des 7 péchés capitaux, surnommée le château d’amour, précède une jolie tourelle d’angle hexagonale. Sur la place Duroc se trouve l’hôtel de ville, et à deux pas, l’église St-Laurent, qui renferme, parmi d’autres trésors, un époustouflant retable, triptyque anversois de l’école flamande du XVIe siècle et le “Christ portant sa croix”, chef-d’œuvre de Ligier Richier (XVIe siècle).

Depuis Pont-à-Mousson, nous atteindrons Metz en une après-midi. En 1 h nous sommes à l’écluse de Pagny-sur-Moselle, au grand gabarit comme ses sœurs sur la Moselle. En un gros quart d’heure, nous sommes de l’autre côté ! Sur les berges, le spectacle automnal des arbres continue son show coloré, et sur la colline rive gauche apparaissent bientôt des vignes, toutes aunes : ce sont celles de Novéant-sur-Moselle, qui produisent des vins blancs rares mais goûteux, des rouges à base de pinot noir, des rosés fruités, et aussi le fameux vin de glace, récolté en décembre, unique. L’écluse d’Ars-sur-Moselle est la dernière avant Metz.

Metz, terme de notre voyage

L’arrivée au port de plaisance de Metz, géré par les Régates messines, est l’une des plus délicieuses qui soient. À la hauteur de l’embranchement vers la double écluse de Metz, après le pont de Verdun, on quitte le bras principal de la Moselle pour emprunter sur la droite un petit chenal à l’ombre des arbres. En quelques minutes, on débouche sur le Plan d’eau, l’une des promenades favorites des Messins. Les pontons, face à nous, sont idéalement situés en plein centre-ville. Alex Tagyi, qui passe ses vacances de retraité luxembourgeois sur sa vedette hollandaise Chance, nous aide spontanément à nous amarrer. Il nous présente au capitaine du port, que nous verrons le lendemain pour régulariser notre arrivée. « Il n’y a pas d’urgence », nous dit-il, avant de retourner à la capitainerie, juste à côté du club d’aviron, la Société des régates messines.

L’église St-Martin de Pont-à-Mousson et sa mise au tombeau du XVe siècle.
Alex Tagyi, sur son bateau Chance dans le port de Metz.

Alex adore le lieu : « On est au milieu des arbres, des fleurs, des gens. Cela fait plusieurs années que je viens l’été ici, et je trouve l’endroit parfait. » Comme notre jauge de carburant commence à lancer des appels au secours, il nous emmènera spontanément le lendemain en voiture jusqu’à la station-service située à côté de Lorraine nautisme, où il fait entretenir son bateau, pour récupérer 50 l de gasoil dans ses propres bidons et les transvaser dans notre réservoir. Le lendemain matin, nous réalisons que le chauffage s’est de nouveau arrêté. Il ne supporte pas le froid, dirait-on. Il a fait 4 °C cette nuit, et l’intérieur du bateau n’a pas gardé la douceur de la veille.

Nous branchons le radiateur d’appoint, en bénissant l’homme qui nous l’a laissé. Après notre visite à la capitainerie, nous grimpons les quelques marches qui mènent à l’Esplanade, surveillés par un buste de Paul Verlaine, enfant du pays. Non loin, devant le palais de justice, se trouve un cheval de bronze signé du sculpteur animalier messin Christophe Fratin. Depuis le Moyen-Pont, accoudés à la balustrade, nous admirons le Temple neuf, à la pointe de l’île du Petit-Saulcy, où se trouve le jardin d’Amour, un espace vert créé en 1739. En face, sous un soleil intense, un motoscafo très vénitien et très surprenant pour l’endroit évolue sur un miroir bleu. Sur le côté, la digue de la Pucelle relie l’île du Saulcy, où se trouve le campus de l’université.

Le retable de l’église St-Laurent de Pont-à-Mousson.

Lorraine nautisme : sur l’eau et sous l’eau

Depuis 1983, Lorraine nautisme fait le bonheur des plaisanciers, plongeurs et de tous ceux qui aiment les bateaux en région lorraine. Située à côté de l’écluse double de Metz (PK 297 de la Moselle), l’entreprise est idéalement placée pour assurer l’entretien, le gardiennage, la mise à l’eau. Pascal Diedrich préside à sa destinée : « Nous assurons la vente et la réparation de bateaux de plaisance, ainsi que la plongée sous-marine, ce qui est atypique par ici.

Laurraine nautisme
Pascal Diedrich.

Nous sommes un chantier naval avec une grue jusqu’à 15 t. Nous assurons le gardiennage, surtout pour les bateaux sur lesquels il y a des travaux à faire. Notre port privé compte une soixantaine de places. On sort les plus petits bateaux l’hiver, les autres aussi lorsqu’il y a un carénage à faire. Nous travaillons surtout avec des clients locaux, mais également avec les plaisanciers de passage qui ont un petit souci et que nous pouvons dépanner. » Lorraine nautisme propose par ailleurs un grand magasin d’accastillage, une librairie fluviale, et bien sûr un rayon plongée très bien fourni.

La vieille ville

Entourés par les immeubles de pierre jaune de Jaumont, nous pénétrons en vieille ville, qui remonte à l’époque romaine. La rue Serpenoise, principal axe de la ville, du temps où Metz se nommait Divodurum, se nommait Via Scarponensis. Ici les noms des rues sonnent biarre : En Fournirue, En Nexirue, En Jurue… La rue Ambroise-Thomas, du nom du compositeur de l’opéra Mignon, né dans la maison qui fait l’angle avec la rue du Palais, mène au marché couvert, en pleine activité. Face à nous, grandiose immense, majestueuse, la cathédrale St-Étienne est le triomphe de la lumière : sur une hauteur vertigineuse, 6500 m2 de vitraux anciens et modernes, dont ceux, sublimes, de Marc Chagall, et ceux de Jacques Villon. Le portail néogothique de la façade occidentale s’adapte infiniment mieux à l’élégance de l’édifice que le précédent, dû à un architecte protégé de Louis XV, Jacques-François londel : classique, massif, et pour tout dire assez laid, démoli en 1898. La statue du prophète Daniel, tout à droite, a les traits de l’empereur Guillaume II qui inaugura le portail en 1903, mais sans les moustaches, rasées par les nazis en 1940. La place d’Armes nous mène, par la rue du Chanoine Collin, jusqu’au musée de la Cour d’Or, à l’endroit où, selon la légende, se trouvait le palais de la Cour d’Or, celui des rois d’Austrasie. Le musée contient des thermes gallo-romains, un grenier médiéval et une ancienne église. Les collections sont richissimes, extraordinaires, et couvrent 2000 ans d’histoire.

Le Temple neuf et le jardin d’Amour, à la pointe de l’île du Petit-Saulcy

En redescendant vers la rue Serpenoise par la charmante petite place Ste-Croix et En Jurue, on passe devant une maison dotée d’une tour carrée, à l’angle de la rue d’Enfer : c’est dans la maison voisine, dans les années 1540, que Rabelais écrivit “Le quart livre”. Il y fait mention du Graoully, épouvantable dragon messin chassé de la ville par saint Clément, selon la légende. Il exerça également la médecine dans la cité. De cette maison, il ne reste qu’un encadrement de porte…

De l’Esplanade à l’Outre-Seille

À quelques centaines de mètres du port se trouve St-Pierre-aux-Nonnains, l’un des plus vieux monuents de et, dont la construction débute à la fin du IVe siècle. Basilique ou salle de sport, abbaye bénédictine, puis entrepôt militaire, l’édifice est aujourd’hui un espace culturel. Un peu excentrée, la porte des Allemands, vieille forteresse construite au XIIIe siècle près de l’hospice des chevaliers teutoniques (les Allemands), enjambe la Seille et clôt le quartier Outre-Seille. On trouve un peu plus loin la petite église St-Maximin, où la lumière est célébrée par les vitraux de Jean Cocteau, son dernier grand chef-d’œuvre. Nous ne sommes plus très loin de la gare, inaugurée en 1908. L’écrivain Maurice Barrès, hostile aux Prussiens, la qualifiait de « tourte » et d’« immense pâté de viande », en raison de son architecture massive. Le jour baisse, les lumières de la ville s’allument, demain nous repartons dans l’autre sens, vers la Villa Majorelle…

Le Graoully, rue Taison (Metz).

Textes et photos Jean-françois MACAIGNE

Notre base la plus proche : Languimberg